C’est après de longues semaines de travail nocturne que je me remets au clavier. Et pour célébrer ce moment de liberté retrouvée, je me suis dis qu’un sujet léger et de bon goût serait parfait pour m’y remettre. C’est grâce à un tweet de Famili.Fr que j’ai trouvé le sujet parfait : la placentophagie
J’ai cliqué sur leur lien… Et j’ai regretté. Mon Dieu, ils ont même fait un dossier sur cette histoire que manger son placenta après l’accouchement serait bon pour la santé. Pour être franc, ma première réaction a été de vouloir vomir. La seconde fut de lire ce qu’ils en disaient et de chercher un peu sur le sujet. Et j’ai été plutôt déçu par ce que j’ai trouvé, c’est à dire pas grand chose. En tapant « placentophagie » ou « manger son placenta » sur google, quelques blogs ou forum sont ressortis où l’on était dans le registre du j’aime/j’aime pas. Je crois que je ne surprendrais personne en disant que c’était plutôt j’aime pas :-). L’info la plus « consistante » concernait January Jones qui aurait avoué manger son placenta. Grâce à son témoignage d’expert ès mangeage de placenta, on apprend que cela lui a permis de se remettre rapidement de son accouchement et qu’elle recommande vivement ce traitement naturel. Au passage, c’est dingue comment l’argument « naturel » est employé pour inciter les gens à faire certaines pratiques. Personnellement, j’ai toujours été réticent à l’argument « c’est bon parce que c’est naturel ». Dame Nature sait être cruelle quand elle veut et je n’irais pas manger une amanite tue mouche ou de la ciguë sous prétexte que c’est un produit naturel (c’est mortel ces petites choses là, mais pas dans le bon sens du terme)
Ce qui m’a frappé au cours de mes recherches, c’est cet espèce de flou quand il s’agit de savoir précisément à quelle point manger son placenta est répandu aux USA. On lit souvent que « de plus en plus d’américaines mangent leur placenta ». Hormis à New York et en Californie, j’ai du mal à voir la ménagère américaine poêler son placenta ou trouver un pharmacien qui accepte de le déshydrater pour le mettre en gélule. Je soupçonne le fait que personne ne sache vraiment l’ampleur du phénomène et que l’argument « de plus en plus d’américaines mangent leur placenta » soit plus un argument commercial pour convaincre de passer le cap qu’une réelle description de la situation. A force de dire que c’est une pratique à la mode, elle va finir par le devenir. Enfin…
Pour revenir à l’article de Famili, qu’apprenons nous d’intéressant ? Le titre « Manger son placenta pour éviter la dépression post-partum » est lourd de promesses. Je sais qu’il faut être accrocheur, mais là, ils n’y vont pas avec le dos de la cuillère. Alors comme ça, j’apprend que c’est presque devenu une mode (ah oui ?) et que les mangeuses de placenta seront bientôt soutenues par des scientifiques… peut-être… Une étude de neuroscientifiques de l’université de Buffalo expliquerait que l’ingestion du placenta permettrait de limiter la dépression postnatale, l’absence de lien ou de l’hostilité de la mère envers l’enfant. Après avoir expliqué les mécanismes biologiques impliqués dans le phénomène, l’article met le hola en disant que ces scientifiques émettent juste des hypothèses en absence de réelles études sur le sujet.
Si l’emploi du conditionnel permet à cet article de ne pas écrire de mensonges, je trouve la formulation maladroite, si ce n’est fallacieuse avec comme unique but de générer du trafic. On joue sur des ambiguïtés parce que l’article pointe justement l’absence de données fiables sur l’intérêt médical de manger son placenta. Il n’y a rien qui laisse présager un éventuel soutien aux « placentophages » (sauf si l’on considère que s’intéresser à un sujet revient à le soutenir). L’étude américaine n’est qu’un prétexte à papier. En lisant le résumé de l’article fait par l’université de Buffalo (Une version de l’article se trouve sur le net. Mais comme il est 2.00 du mat et que le doc fait 20 pages, je m’autorise à ne pas le lire ce soir. Si le coeur vous en dit ) je n’arrive pas aux mêmes conclusions que l’auteur du papier (que je n’ose appeler journaliste).
Premier point intéressant, le principal auteur, Mark Kristal, est psychologue, spécialisé dans l’étude du comportement et s’il étudie la plancentophagie depuis une quarantaine d’année, ses recherches seraient plutôt fondées sur les comportements des mammifères (humains compris) et une réflexion sur les différences de comportement. En résumé, le résumé de l’article développe les trois points suivants :
- Les bénéfices de l’ingestion du placenta ont été prouvés chez les mammifères non-humains (amélioration du lien mère-enfant). Certains troubles présents chez l’être humain ne se retrouvent pas chez l’animal (dépression post partum, absence de lien…) ce qui amène M. Kristal à s’interroger sur le fait que manger son placenta pourrait expliquer cette absence chez les mammifères non-humains. Il précise toutefois que c’est une hypothèse et qu’aucune étude médicale sérieuse n’a été menée pour dire si manger son placenta sert réellement à quelque chose.
- Quelque soit le continent, aucune culture, aucune tribu n’a recommandé la consommation de placenta humain. M. Kristal s’interroge sur le fait que si manger son placenta ne s’est jamais fait au sein de l’espèce humaine, c’est peut être que notre organisme n’en a pas besoin et que notre organisme a évolué différemment que celui des autres mammifères. En terme plus technique, on dirait que la vraie question est de savoir pourquoi l’espèce humaine ne considère pas la placentophagie comme un impératif biologique comme cela l’est pour d’autres mammifères ? Peut être avons nous mis en place des « stratégies adaptatives » qui nous permettent de nous en passer ? (Désolé, je frime, mais j’ai adoré la phrase dans l’article 😉 )
- Il explique enfin que si des études sont menées et qu’elles ressortent positives, cela pourrait avoir un impact sur la prise en charge post-accouchement. En revanche, si les études ne font ressortir aucun effet thérapeutique, « cela n’empêchera pas les spéculations et les recommandation vont persister, car il n’est pas possible de prouver le contraire« . Ceux qui croient en l’efficacité de la consommation du placenta resteront convaincus, même si des études montrent le contraire.
Même s’il reste dans la posture neutre du chercheur qui j’affirme ou n’infirme rien sans preuve, on sent qu’il y voit plus un effet placebo qu’un effet thérapeutique. Dans une interview précédent l’étude, Mark Kristal disait que la seule façon d’être renutri par l’ingestion du placenta serait d’avoir été vraiment malnutri pendant la grossesse. L’article dans son intégralité devrait pouvoir être plus précis sur les arguments avancés. En revanche, une chose me semble clair, c’est que l’article de l’université de Buffalo n’est en rien un soutien à la consommation de placenta. Il émet effectivement des hypothèses, mais la route est tellement longue pour affirmer ou infirmer un quelconque intérêt de cette pratique que j’ai du mal à voir le soutien des scientifiques comme le suggère Famili. Que ce magazine s’intéresse à ce sujet, pourquoi pas ? Qu’ils demandent l’avis de leur lecteur, c’est très bien. Mais l’enrobage scientifique de l’article me gène, surtout quand on arrive à des contre-sens fâcheux.
De mon côté, j’avais fini par tomber au hasard de mes flâneries sur le web sur un blog recensant carrément les recettes de smothies au placenta (comme si c’était pas déjà suffisamment dégueu encapsulé!)… Bon je blague mais au fond ces pratiques et la façon dont elles sont relayées dans la presse m’agacent au plus au point parce que le point de vue adopté permet (voire encourage) la confusion de tout ce qui se revendique un moment où un autre sous l’étendard « naturel »: accouchement « naturel » alors qu’on parle en fait d’accouchement non technicisé, allaitement « naturel » qui s’oppose à l’allaitement au lait de vache modifié, portage « naturel » par opposition à la poussette le « naturel » étant alors assimilé à « conforme aux pratiques dans les civilisations primitives »…. bref, c’est un joyeux mic-mac!! Comme tu le soulignes, la placentophagie ne trouve sa place dans la grande famille du « naturel » que dans la mesure où il n’est pas le produit de l’industrie…
Oh, j’imagine bien qu’en temps de famine, il y a bien eu une ou deux femmes préhistoriques pour s’en faire un festin (et on les comprend!!) mais il me semble sinon que le placenta ait plutôt été entouré de croyances diverses et plutôt objet de craintes qu’autre chose… Dans ce cadre, la placentophagie apparaîtrait plus au regard ces pratiques ancestrales comme un comportement de mécréant qui méprise la force des puissances occultes présidant à l’enfantement!! 😀
Après, il m’avait semblé qu’en Inde, le placenta des bovins était consommé au titre de seule viande ne provenant pas d’un meurtre….mais la problématique n’est pas réellement la même puisqu’il ne s’agit de placenta humain…(de plus l’info reste à vérifier)
Enfin, je me demande honnêtement s’il s’agit réellement nutritionnellement parlant, d’un morceau de choix… Il me semblait avoir lu quelque part (lors d’obscures recherches de femme enceinte à l’esprit tordu) que dans certains cas extrêmes lorsque la mère était atteinte d’un cancer, on pouvait retrouver des cellules cancéreuses sur le placenta… Bref, je me demande si ce ne serait pas comme une sorte de foie jetable, accumulant toutes les cochonneries (d’origine alimentaire ou corporelle) mais sans nécessité d’en être expurgé (du moins en fin de grossesse)…
Bref, à être un tout petit peu provocatrice je me demande: à quand la merde, l’urine ou le sperme en capsule!!! (après tout c’est naturel!!) 😉
Ce que les gens ont du mal à comprendre, c’est que ce n’est pas parce que ce n’est pas industriel qu’il n’y a pas un business derrière (foi de marketeux 😉 ).
A ce jour, aucune étude ne référence de culture humaine ayant consommé régulièrement du placenta humain. Il y a, en Asie et en Amérique du Nord des « peuples » consommant du placenta animal.
La dernière en date http://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/03670244.2010.524106 (courage, c’est du lourd) répertorie toutes les pratiques avec un placenta (c’est édifiant). On fait bcp de choses avec, on l’enterre, on le brule, on le seche, mais on ne le mange pas.
D’un point de vue nutritif, il y a des choses, mais de là a savoir si cela à réellement un impact sur la dépression postnatal, rien ne le prouve. Je pense que consommer son placenta, c’est comme soigner un arbre en lui clouant des planches. Intellectuellement interessant, pratiquement inefficace, franchement ridicule
Je suis tout à fait d’accord sur l’argument qu’être naturel n’est pas synonyme de bon pour la santé, tout comme ce qui est industriel n’est pas forcément mauvais…
Pour ce qui est du parallèle avec les animaux, il me semblait que les animaux mangeaient le placenta uniquement pour se protéger des prédateurs et ne pas les attirer avec le sang ni leur montrer qu’un bébé (forcément une proie plus facile) venait de naître… Après, peut être qu’ils en tirent une certaine vertue. Les lapins mangent bien leurs crottes, ce n’est pas pour autant que je conseillerais aux végétariens de faire la même chose…
on a beau être des mammifères, il a quand même des différences physiologiques. ça ne viendrait à l’esprit de personne d’emmener son gamin chez le vétérinaire
Oui, du moins, pas à notre époque !
Mais peut être que les personnes qui mangeraient leur placenta, seraient aussi des personnes qui se disent que les médecins et l’industrie pharmaceutique veulent notre peau (et surtout notre argent) dans tous les domaines…
c’est sur que les vendeurs de miracles ne travaillent que pour la gloire
Je ne suis pas mécontent de découvrir ce post de bon matin! Merci d’avoir creusé le thème. Manger son placenta est donc une mode portée par les stars hollywoodiennes et un placebo. Le remède parfait.
Peut-on conclure en disant que le placenta n’est pas un plat sympa ? … voilà.
Comme très souvent pour les méthodes révolutionnaires dites naturelles. ton jeu de mot est comment dire… 😉