C’était il y a 3 ans. Nous étions encore en région parisienne, fiers parents d’une petite fille et d’un nouveau né.
Comme tous parisiens qui se respectent, nous travaillions à une certaine distance de notre domicile, genre à une heure de voiture (en Ile de France, l’unité de mesure des distances n’est pas le kilomètre mais l’heure de trajet). La journée type : Lever 6.00, départ à 7.00, arrivée sur le lieu de travail de madame et de la crèche des filles à 7.50 (pour 10km), arrivée à mon boulot à 8.20. Et rebelotte dans le sens inverse à partir de 17.00 (Vous comprenez maintenant pourquoi nous sommes heureux en province ?)
Suite à la réforme des retraites, il y avait grève de transport ce jour là. Alors forcément, ça s’excite à l’arrière de la voiture. Au bout de 10 minutes bloqué au même carrefour, arrive la question tant redoutée :
– « Papa, dit pourquoi t’avances pas ? »
– » Bah parce que ça roule pas ! »
Il n’y a que les nullipares pour penser qu’une réponse aussi simpliste est suffisante. Les autres savent bien que c’est le début d’une loooongue litanie de pourquoi.
-« Et pourquoi ça roule pas ? »
-« Parce qu’il y a du monde »
-« Et pourquoi il y a du monde ? »
-« Parce que tout le monde a pris sa voiture »
-« Pourquoi tout le monde a pris sa voiture ? »
-« Parce qu’il n’y a pas de trains »
-« Pourquoi il n’y a pas de trains ? »
A partir de là, tu sais que tu vas arriver à un point de non retour. Si tu lui dis que les cheminots font grève, tu vas avoir le droit de lui expliquer pourquoi et au bout de 30 minutes de bouchon, tu sais que ça se finira mal. Tu sais aussi que ta gamine ne lâchera pas le morceau. Plus tu tournes autour du pot, plus elle a envie de creuser. C’est instinctif (qui a dit atavique ?).
Dans un éclair de folie, je profite que le feu passe au rouge (comme si ça roulait mieux quand il est au vert) pour me retourner, regarder ma gamine dans les yeux et lui dire la vérité : pourquoi les cheminots faisaient grève, ce qu’est la retraite par répartition, le conservatisme syndical français (j’ai pas pu m’en empêcher) et les recommandations du Conseil d’Orientation des Retraites (j’ai aucun mérite, j’écoutais BFM).
Pendant ce temps, ma fille m’écoutait religieusement, pouce dans le bec et doudou serré contre elle. Après ma tirade, j’ai eu le droit à un simple « d’accord » qui sonna le glas de la litanie des pourquoi. Je ne me fais pas d’illusion, elle n’a rien compris. Mais je crois qu’elle a vu que je lui ai répondu franchement et que c’est qu’elle recherchait.
J’utilise souvent cette technique pour éviter d’être harcelé de questions : y aller franco. Je ne dis pas que c’est toujours exact, mais au moins j’ai la paix.
Je fais ça aussi mais sur un point précis ou trop technique. Quand je n’ai pas de moyen raisonnable de l’expliquer de façon assez simple ou quand je suis vraiment trop crevé / pressé / etc. De fait, ça stoppe. Mais ça ne m’amuse généralement pas tant que ça
Je m’amuse plus a trouver la bon dosage : comment mettre la barre juste assez haut dans le niveau des réponses pour qu’elles soient à leur portée tout en les faisant grimper. Et là tu les vois qui assemblent les briques dans leur tête et tu kiffes. Du coup j’ai acquis une certaine patience avec les « pourquoi » à la fois par sacerdoce, amusement et habitude.
Le bonne grosse réponse d’adulte c’est l’arme nucléaire.
Jusqu’au jour où ils rebondissent. Et la tu pleures
Oui mais c’est aussi ce qui est drôle. Justement ma règle c’est de ne jamais boter en touche, et, idéalement, toujours fournir une réponse compréhensible et à leur portée. C’est ce qui rend le petit-déjeuner parfois crevant, quand, au saut du lit, j’ai un ou deux loustics balançant les questions à la mitraillette.
Mais en même temps tu les vois raccorder les savoirs, rebondir sur de nouvelles questions qu’ils en déduisent, etc. Perso je kiffe mais ça me mets parfois sur les rotules
Cela marche aussi pour les plus grands 😀
certes, mais faut assumer s’ils continuent à pauser des questions :-p
J’aurai aimé pouvoir observé le visage de ta fille encaissant ta réponse de grand et tenter d’en comprendre le plus possible. En même temps j’ai lu quelque part, qu’il fallait leur parler comme à des grands mais avec des mots un peu plus simples pour leur permettre de bien comprendre. Et ce que j’adore par dessus tout, c’est leur regard savant qui dit « ok j’ai tout compris », ils ont le chic pour me surprendre souvent.
J’appréhende le jour où elle me prendra a défaut. Et je crains que cela n’arrive plus rapidement que prévu