Ma chérie,
Comme on a dû te le dire hier à l’école, il se passe quelque chose depuis 2 jours en France. Quelque chose de suffisamment terrible pour que l’on s’arrête pendant une minute de parler pour se « recueillir ». Quand tu es revenue de l’école, tu m’avais dis que tu avais envie de faire des cauchemars. La maîtresse n’a pas su te rassurer. Comment lui en vouloir ? Je ne suis pas sûr d’en être capable moi-même.
J’aurais voulu prendre le temps de discuter avec toi, histoire de ne pas laisser la cour de récré être ta seule source d’information. Mais je ne sais pas quoi te dire. Comment trouver les mots de ton age ? Comment ne pas te transmettre mes peurs ? Tu as 7 ans, tu as le temps de te faire tes propres névroses sans que je ne t’encombre des miennes.
Mais je ne sais pas quoi te dire, je ne sais pas comment t’expliquer que des gens haïssent suffisamment leur prochain pour les assassiner au nom de leur dieu. Je ne sais pas te dire pourquoi certaines autres personnes veulent se venger en s’en prenant à des mosquées. Je ne sais pas t’expliquer pourquoi tout le monde est Charlie ni comment t’expliquer la liberté d’expression et pourquoi on tue pour cela.
Je ne te ferais pas de grandes analyses sur pourquoi le monde est comme il est, sur ce qu’il faudrait faire, sur qui sont les gentils et les méchants… Tout d’abord, parce que je ne suis pas sûr d’avoir les réponses. Ensuite, parce que je n’ai pas à te dire ce genre de choses, ça n’est pas mon rôle. Mon rôle, c’est de t’apporter les outils suffisants pour t’aider à tirer tes propres conclusions. Je serais heureux si tu arrives aux mêmes que les miennes, mais quelque part, je crois que je serais fier de te voir capable de me démontrer que j’ai tort (mais ça ne va pas être simple, je te rassure).
Tout ce que je peux te dire c’est que l’on vit une drôle d’époque. Plus personne ne sait pourquoi il doit vivre avec ces Autres qui sont tous plus ou moins barbares. Tout le monde a peur et cette peur qui fait s’éloigner les gens les uns des autres. C’est cette peur qui fait que nous ne nous intéressons plus aux Autres. C’est cette peur qui fera rentrer les Loups dans la Cité.
Les hommes avaient perdu le goût
De vivre, et se foutaient de tout
Leurs mères, leurs frangins, leurs nanas
Pour eux c´était qu´du cinéma
Le ciel redevenait sauvage,
Le béton bouffait l´paysage.
La peur est une émotion très forte qui prend sa source au plus profond des tripes. Elle mange l’âme et nous rend bête. Le cerveau a beaucoup de mal à contenir la peur une fois qu’elle s’est installée. La peur distend les liens que l’on peut avoir avec l’Autre et sans lien les préjugés s’installent.
Mais alors que peut on faire ?
Je ne connaîtrai pas la peur, car la peur tue l’esprit.
La peur est la petite mort qui conduit à l’oblitération totale.
J’affronterai ma peur. Je lui permettrai de passer sur moi, au travers de moi.
Et lorsqu’elle sera passée, je tournerai mon œil intérieur sur son chemin.
Et là où elle sera passée, il n’y aura plus rien. Rien que moi.
Dune
Cette peur, si présente dans nos vies, est ce que j’aimerais t’apprendre à combattre. Ce n’est pas quelque chose que l’on peut enseigner avec des leçons. Bien sur j’ai eu peur, mais je pense que jamais je n’ai laissé cette peur contrôler ma vie. J’espère que je ne me contredirais jamais car je te le dois.
Au risque de paraître gnangnan, je te dirais que l’amour chasse la peur. L’amour recrée le lien, provoque un attachement à l’Autre. Quand on aime, les préjugés, les stéréotypes s’en vont. L’amour ne veut pas dire que tu devras te laisser marcher sur les pieds. Cela veut dire que tu dois accepter les gens comme ils sont et après libre à toi de vouloir creuser plus profondément dans ta relation.
Aime les gens pour ce qu’ils sont, même si parfois c’est très dur. N’écoute pas ceux qui t’explique qu’il faut juger un individu selon son age, son sexe, son orientation sexuelle, sa classe sociale, sa couleur de peau…
Aime les gens sans restriction ou condition. Ils ont de gros défauts, mais toi aussi, moi aussi. Si tu penses avoir le droit d’être aimé malgré tes défauts, il n’y a pas de raison qu’il en soit autrement pour les Autres.
Aime ma chérie, Aime les gens. Sors de cette caverne d’où tu ne vois que des ombres. Cherche leur source. La personne que tu as en face de toi est unique et mérite qu’on creuse un peu au-delà des apparences. Tu verras que les gens valent toujours mieux que les étiquettes qu’on leur colle sur le dos.
Et même si c’est la crise, si les fous de dieux sont notre porte, même si tout le monde te dit que c’est inutile, Aime. C’est la meilleure façon, selon moi, de maintenir les loups à distance loin de toi. Et tant pis si tu es la seule à le faire, cela vaut toujours mieux que de vivre la peur au ventre.
Cette leçon, je la tiens d’une personne que j’ai rencontré il y a 15 ans. Elle s’appelait Svetlana et vivait à Subotica en Serbie. Lors de notre rencontre, son pays se faisait bombarder par l’OTAN. Elle ne parlait pas beaucoup et tremblait lorsqu’elle entendait passer les avions provenant de la base militaire voisine. Elle m’a écrit un mot que je garde depuis toujours sur moi et que je lis de temps à autres quand je ne trouve plus la force. Ce mot, je te le donne pour que toi aussi, tu trouves la force au fond de toi pour aimer quoi qu’il se passe.
Ton père qui t’aime
Je n’ai jamais fait de différence entre les gens selon ce qu’ils sont ni d’où ils sont. Cela n’a jamais été important pour moi, mais une chose est vraie, c’est que je ne suis pas différente de ceux qui prennent les armes, que ce soit pour de bonnes ou de mauvaises raisons. J’ai passé les 10 dernières années de ma vie dans la haine et la guerre. Malgré cela, je ne hais personne et je ne le ferais jamais. Je n’ai pas choisi de vivre cette vie mais c’est la croix que je porte.
Je suis inquiète de ce qu’il peut se passer à l’avenir. Je vis dans un pays où il y a 25 minorités et que je suis l’une d’entre elles. Mais au fond, je sais que tout ceci n’a pas d’importance, je suis heureuse car je suis en vie. Heureuse et reconnaissante. Avec mes armes, la joie, l’espérance et la foi je reconstruirais ce qui a été détruit.
Surtout je ne veux pas que tu ais pitié de moi. J’aimerais juste que tu te souviennes que je n’étais qu’une enfant quand tout a commencé et je pense une enfant courageuse qui a appris que le soleil brille tout le temps, même si on ne le voit pas.
Reste spécial, continue d’aimer les gens si tu ne peux pas les ignorer. Mais surtout, souviens toi que la haine est notre seule ennemie, tellement puissante qu’elle arrive à nous détruire.
Merci beaucoup pour le partage, c’est très beau!
Faut bien qu’il serve a quelque chose ce blog